Je trace la route pour créer un repas Antique sur l’ancienne voie Grecque et Romaine du quartier du Panier à Marseille. A la demande du Musée d’Histoire, j’ai concocté cette balade gustative et littéraire en relation avec l’exposition On n’a rien inventé depuis l’antiquité.
Le Musée d’histoire de Marseille avec le Musée départemental Arles Antique ont proposé une exposition thématique sur le commerce et la gastronomie dans l’Antiquité romaine. David Djaoui, MDAA, archéologue territorial/chercheur associé par convention au CCJ/CNRS est le commissaire scientifique. Le commissariat exécutif est au Musée d’Histoire de Marseille avec Fabrice Denise, directeur et Ann Blanchet, directrice adjointe.
Extraits du catalogue On n’a rien Inventé :
(…) la gastronomie est née ici de la rencontre d’un terroir agricole fertile, d’une tradition antique méditerranéenne marquée par la trilogie vin/céréale/olive et des apports innombrables des routes maritimes, empruntées au fil des siècles par les navires de notre ville-monde.
Comment aborder la gastronomie dans l’Antiquité Romaine ?
(…) le musée départemental Arles antique dispose de ressources archéologiques presque inépuisables. (…) les fouilles et le levage du chaland gallo-romain Arles-Rhône 3 ont permis de découvrir des centaines de milliers de céramiques dont certaines portaient encore leur étiquette commerciale! On peut lire sur certaines d’entre elles les mentions peintes de coings, d’olives noires conservées dans une réduction de moût de raisin, de jeunes thons épicés mais aussi de sauces de poissons dont une des plus célèbres sauces de l’Antiquité, le fameux garum.
(…) Depuis une trentaine d’années, les archéologues collaborent ainsi avec de nombreux spécialistes. Les archéobotanistes étudient les macro-restes végétaux pour mettre en lumière les espèces consommées comme les céréales, les légumineuses ou encore les fruits à coque.
L’étude de la faune relève, (…) du domaine des archéo-zoologues qui identifient les ossements, déterminent les traces de découpe et nous renseignent sur les pratiques de boucherie et le choix des morceaux.
La malacologie, branche de la zoologie consacrée à l’étude des mollusques, et l’ichtyologie, étude des restes de poissons, sont également essentielles lorsqu’on souhaite interpréter l’accumulation de milliers de coquilles de crustacés ou le contenu des amphores halieutiques.
(…) Alimenté par le résultat d’une recherche plus que jamais pluridisciplinaire, notre propos pouvait ainsi s’appuyer sur les premiers résultats des fouilles subaquatiques du Rhône pour constituer toute une section sur les produits déclinant le vin, les fruits, les légumes, l’huile, le lait, le miel, la pâtisserie, les viandes et les volailles.
Extraits du catalogue de l’exposition On n’a rien inventé – Editions Illustria / Musée d’Histoire de Marseille
Les vitrines du Musée d’Histoire montrent aussi bien des amphores, vases, pots antiques que des boites de conserves actuelles d’olives, de poissons, de fruits, de viandes ainsi que des bouteilles d’huile d’olive ou de vin.
Il s’agissait alors, pour moi, d’inventer un voyage littéraire et culinaire, de retrouver des ingrédients dans notre cuisine, consommés depuis l’Antiquité sous toutes ses formes : huile d’olive, pois chiche, fromage de brebis, poissons, poulpes, végétaux, fruits, vin …
Mon repas itinérant révèle des pratiques culinaires actuelles en liaison avec la gastronomie antique. Chaque commerce visité est lié à un thème et à des objets de l’exposition. Dans les restaurants que nous visitons, je ne pensais évidement pas trouver des crêtes de coq ou des langues de paon, dont parle Apicius dans son livre de recettes.
Quelle chance ! Le parcours commence, mes passagers sont emportés par la musique antique grecque que je diffuse pendant le trajet de la balade.
Notre première escale est au restaurant Greek Tavern, le patron a voyagé pendant plusieurs années sur son bateau en Méditerranée, et après de multiples aventures s’est arrêté à Marseille. Le récit de l’Odyssée nous attend, je lis au public une aventure d’Ulysse, enfermé dans la caverne du Cyclope, avec ses compagnons, tous affamés, ils volent des denrées, dont du fromage ‘caillé.’
Pendant l’écoute du récit, on a la vue sur toutes ces préparations, le fromage caillé, du tzaziki que nous goûtons ensuite goulument avec du pain grec tout chaud et tout ces plats délicieux. De ma tablette, je diffuse les photos des objets de l’exposition, liés à cette première étape, faisselle en terre cuite, une mosaïque délicate, avec un panier fait d’ajonc dans lequel s’égoutte du fromage caillé.
PHOTO mosaique
Pour la partie sensible, la balade est composée du récit de vie de nos hôtes, d’histoires, de poésies et de musiques antiques. Dans chaque boutique, la rencontre se fait avec notre hôte, puis un met y est dégusté en lien avec une histoire, un objet de l’exposition. La littérature est présente avec des récits de l’antiquité comme la rencontre d’Ulysse avec la nymphe Calypso ou des plats étranges notés dans la compilation de recettes d’Apicius.
« Il ne vivait, ajoute Lampridius, que pour se livrer à de folles extravagances. On le vit souvent manger des talons de chameau, des crêtes de coqs arrachées à ces animaux vivants, et des langues de paons et de rossignols… On servait à ses officiers de grands plats d’entrailles de barbeaux, de cervelles de phoenicoptères, d’oeufs de perdrix, de cervelles de grives et de têtes de perroquets, de faisans et de paons… Il nourrissait ses chiens avec des foies d’oies…, faisait jeter dans les mangeoires de ses chevaux des raisins d’Apamène (Damas), et donnait pour nourriture à ses lions et autres animaux, des perroquets et des faisans… »
Au final, mon repas des cinq sens est constitué de mets comme le fromage caillé, de tzatziki, de feuilletés fourrés de fromage, de poulpes, de boulettes de pois chiches, de chaussons farcis d’épinards et aussi de vins, de vin résinés, de dégustation d’huile d’olive, de melet (pâte d’anchois au fenouil), de pain grec, de jus de fruits et autres douceurs. A la fin de ce voyage dépaysant, on se se pose pour le dessert dans la boutique de jus de fruits frais : Youpi Juice. Au sous sol, dans la cave voutée, à l’abri de la chaleur, nous dégustons une citronnade et un gâteau douceur. Nous terminons notre voyage avec Selmane, l’un de nos hôtes, qui présente son parcours de chercheur en biologie marine, et créateur de ce nouvelle boutique. La mer, l’archéologie, l’écologie marine, la nourriture, le voyage d’Ulysse, le parcours se termine avec bonheur, la boucle est bouclée. Il reste la collecte de nos restes :
J’ai fait cette collecte tout au long du pique-nique pour visualiser ce qui nous reste de nos restes. C’est un clin d’œil à l’exposition du musée : ‘On n’a rien inventé’. L’exposition se terminait par l’installation de la performance de l’artiste contemporain Daniel Spoerri. Celui-ci a proposé de faire un pique-nique à une centaine de personnes et a fait enterrer toute la vaisselle et les restes de ce pique-nique. Vingt ans plus tard, il l’a fait fouiller par des archéologues. Daniel Spoerri ( artiste qui a fait partie du mouvement des Nouveaux Réalistes) questionne entre-autre la société de consommation et les traces laissées par les déchets de l’homme. A la fin de notre balade, je photographie ces restes. “Les restes de nos restes” est un article à venir.
Au final de cette balade, je lis le récit de la séparation d’Ulysse et de Calypso : “La nymphe lui servit toute la nourriture, les mets et les boissons dont usent les humains destinés à la mort ; en face du divin Ulysse, elle prit siège, ses femmes lui donnèrent ambroisie et nectar. (…) Comme Ulysse parlait, le soleil se coucha, le crépuscule vint : sous la voute, au plus profond de la grotte, ils rentrèrent pour rester dans les bras l’un de l’autre, pour s’aimer.”
Lieux dégustés au propre et au figuré: rue Caisserie : Greek Tavern et restaurant TG ; place de Lenche : le Libanais, rue de l’Evêché : la cave ‘La descente des Accoules’ et les jus de Youpi Juice ; rue Sainte Françoise : le Comptoir O huiles. Qu’ils soient tous remerciés pour leur participation et les délices qu’ils nous ont proposés.
Balade créée pour le Musée d’Histoire de Marseille en Juillet 2019